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Rotterdam, 42km pour la 5ème fois

Un mara­thon c’est une aven­ture, c’est des émotions, c’est du partage.

Rotter­dam 2019 fut le 5ème, le 5ème couru avec mon frère Jé, le 5ème accom­pa­gné par la meilleure suppor­trice de tous les temps…

L’AVANT

On arrive en ville le vendredi, très tard, un peu décon­necté du truc. Vidés par un retard d’avion et une attente de 7 heures, qui semble m’avoir bouffé autant d’éner­gie que d’émo­tion.

Mais l’en­vie et la moti­va­tion sont heureu­se­ment encore là.

L’émo­tion revient un peu le lende­main matin, à la tradi­tion­nelle expo d’avant-course. C’est très bien orga­nisé, on retire faci­le­ment nos dossards. Sans file d’at­tente, sans stress. A l’aise. On sacri­fie avec plai­sir aux rituelles photos avec la médaille géante, le plan du parcours, ou encore la fameuse inter­mi­nable liste de noms, avant un énième plat de pâtes.

L’après-midi se partage entre petite balade tranquille, repos à l’hô­tel, et la prépa­ra­tion du maté­riel, du plan­ning ravito, seul, tranquille, dans la chambre.

De mes expé­riences précé­dentes, le ravito et la nutri­tion reste ce qui m’inquiète le plus, ayant l’ha­bi­tude de m’en­traî­ner sans manger et sans boire, sauf quelque fois, lors des sorties vrai­ment longues d’une prépa mara­thon… Mais voilà, pour tenir les 42 kils, faudra bien boire et manger… Alors j’es­saie de plani­fier quelque chose de raison­nable, et de pas trop désta­bi­li­sant pour mon esto­mac : petit déj 3 heures avant le départ, puis une barre isos­tar endu­rance envi­ron 45 minutes avant. Et évidem­ment, boire de l’eau régu­liè­re­ment, comme depuis 2–3 jours. Et pour la course elle-même, je prévois un gel et/ou bonbon/pâte de fruit caféine 1 à 2 km avant un ravi­taille­ment en eau, au 8, 18, 28 et 38… Et advienne que pourra

Et j’ai toujours mon idée bien ancrée dans la tête, depuis le début de la prépa : 3h30. Respec­ter le plan. Ne pas se lais­ser embal­ler, ni endor­mir. Res-pec-ter le plan.

Puis vient le moment du dernier plat de pâtes. Toutes simples mais déli­cieuses dans un tout petit resto très sympa le Panzero (Boters­loot 50A).

 

LE JUSTE AVANT

Lever à 6h30. Petit déjeu­ner 7h. L’hô­tel a même prévu un buffet un peu diffé­rent, spécial coureurs, dont un grand panier de bananes toutes déco­rées d’un message parti­cu­lier, diffé­rent, dans toutes les langues. Je choi­sis celle qui dit : “I may be ugly, but I have all the energy you will need, let’s do it toge­ther” (J’ai beau être moche, j’ai toute l’éner­gie dont tu auras besoin. Faisons-le ensemble).

Un peu de repos encore, puis nous partons à pied jusqu’à la zone de départ, accom­pa­gnés par nos suppor­trices 5 étoiles, qui ont prévu de se dépla­cer pour pouvoir nous encou­ra­ger à 5 endroits diffé­rents sur le parcours.

C’est là qu’on se sépare, comme d’ha­bi­tude le ventre serré, les jambes impa­tientes, et les yeux mouillés. C’est la 5eme fois. Je sais ce qui m’at­tend,  et je le crains tout autant que je le désire. Depuis des mois. Depuis plus de 2 ans. Me retrou­ver dans un bloc de départ d’un mara­thon. Et en plus 4 mois et demi après avoir été opéré d’un genou (une expé­rience fasci­nante que je te raconte ici). Je me sens béni. Et je me convainc que tout va tenir. Et que ce sub 3 :30 est dans mes cordes. Il l’est, je le sais.

Nous sommes à 2–300m du Pont Eras­mus. Des milliers de coureurs entonnent ensemble la chan­son du kop du FC Liver­pool “You’ll never walk alone” hymne que le mara­thon de Rotter­dam a fait sien avec la petite modi­fi­ca­tion assez logique : “You’ll never run alone”, et là, c’est plus vrai que jamais.

Un dernier pipi  (il y a des pissoirs et toilettes dans les blocs de départ jusqu’à 100m de la ligne), et on s’avance vers la bande­role, qui marque le début du fameux pont, et de l’aven­ture.

 

LE PENDANT

Une tape dans la main tendue d’un béné­vole, et c’est parti, on s’en­gage sur le pont. L’Eras­mus Bridge est noir de monde, entre coureurs et public, le ciel est bleu, les bateaux des pompiers nous font un jet d’ar­ti­fice. C’est jour de fête.

Il y a rapi­de­ment assez de place pour se caler tout de suite dans le rythme prévu, et dès le premier km à la sortie du pont, on est pile poil.

Les avenues sont larges et bordées de monde. Je me sens bien, facile, le genou ne fait pas mal, l’al­lure cible est respec­tée. Content. Confiant.

Km5, premier ravito en eau, gobe­let de carton bouché par une éponge rien ne se verse pendant qu’on court, mais niveau déchet, pas sûr que ce soit utile…

Km8 premier gel, sans aucune envie, mais je me force. Premier passage sous un pont, descente puis remon­tée, rester concen­tré sur l’al­lure. Il y a beau­coup de monde dans ce coin. Puis à partir du km10 c’est beau­coup plus calme et buco­lique. Trois kilo­mètres de ligne droite en pleine campagne le long d’un canal. Ça rappelle les entraî­ne­ments sur la digue du Rhône, mais en moins soli­tai­re…

Au km13 on reprend à droite vers la ville, l’am­biance revient, revient fort même. Il y a vrai­ment beau­coup de monde, et c’est là que je reçois le premier coup de boost de ma suppor­trice. Je suis bien, encore à l’aise, mais ça fait un bien fou, son sourire, ses cris, avant l’al­ler-retour des km 14 et 15.

Au ravito des 15, je prends mon verre d’eau en fin de zone, pour éviter de trop ralen­tir dans la cohue, et je me fais bous­cu­ler. Je perds mon gobe­let, et il ne reste plus que des bois­sons isoto­niques. Je n’en veux pas mais je prends quand même, je préfère boire un peu. C’est dégueu­lasse, et juste 2 petites gorgées suffisent à m’im­po­ser leur goût pendant des km.

Un peu plus loin je retrouve mon amou­reuse pour un bol d’éner­gie, avant le calme rela­tif du contour­ne­ment du Zuider Park.

Toujours concen­tré sur l’al­lure, ni trop vite ni trop lent, le plan calé dans la tête, 4’58/km tout le long, j’es­saie de ne pas me lais­ser endor­mir. J’ai un petit coup de mou niveau moti­va­tion, ça me paraît encore long (en temps plus qu’en km, para­doxa­le­ment) et je n’ai plus trop envie de courir, mais j’y suis, j’y reste, et toujours pile dans le tir. En ayant même grap­pillé quelques petites secondes ça et là au fil des km, je passe au 20ème, et au semi avec une petite minute d’avance sur le plan. C’est pas trop, ça me convient,  je ne me suis pas grillé.

Km23, grosse foule, et grosse ambiance, la gorge se serre, les sanglots sont là, je les retiens, je perds mon rythme de respi­ra­tion, je suis concen­tré pour me reprendre vite, et je manque de rater mon amou­reuse, qui est là un peu plus tôt que je l’at­ten­dais et de l’autre côté du parcours. Heureu­se­ment qu’elle m’a vu. Je me remplis de son éner­gie et de celle de cette foule bruyante.

Au km25, je commence à sentir la fatigue, la dureté de la course, et la remon­tée sur le pont Eras­mus est diffi­cile, mais c’est beau. Je reprends un peu du poil de la bête dans la descente, n’ayant pas du tout envie de mon prochain gel au 28.

Km28, je m’en­file un gel dans la descente sous un pont. Ca me dégoûte, mais je me force, la course commence bien­tôt

Au 29ème, Silvia est à nouveau là. Elle me demande si ça va et m’en­cou­rage, ma tête doit l’inquié­ter.  J’ai pas trop la force de répondre, et je file essayant de me remplir de son éner­gie.

Premier passage sous les fameuses Kijku­bus, la maisons cubes de Rotter­dam, et je me réjouis d’y reve­nir, dans 11km… du centre ville jusqu’aux abords du parc de la forêt de Kralin­gen, l’am­biance est géniale.

Un monde fou, de la musique partout, qui me rappelle que c’est pour ça que je suis venu, et j’avance, je suis là, et nulle part ailleurs, et un peu en-dessous de l’al­lure cible… pas de mur en vue, j’y pense même pas.

Dans le parc c’est calme, et ça me rappelle l’en­fer du Bois de Boulogne au mara­thon de Paris 2016, où je me suis battu avec le mur pendant les 17 derniers km. Je me recon­centre sur l’al­lure car de manière géné­rale on est toujours dans les temps prévus. Les 33, 34 et 35 passent bien, pile dans le rythme. C’est dur mais ça va, on est dedans. Le ravito des 35 est très silen­cieux, dans un endroit calme, et les coureurs en chient tous, les visages sont marqués et comme un peu tristes, et le mien aussi sans doute.

Les jambes commencent à se faire lourdes, et un manque de luci­dité me fait croire qu’on a passé le 35 avec presque 5 minutes de retard… mais non au 36 on est toujours dans les temps, mais je commence à vrai­ment être dans le dur.

Je n’ar­rive plus à atteindre l’al­lure cible, alors je me bats pour ne pas trop ralen­tir.

Peu avant le 37, Jérôme que j’avais laissé un peu derrière depuis le 32, me repasse, je pensais bien qu’il n’était pas loin et je suis content. Il en chie aussi, mais il avance mieux. J’es­saie de m’en servir comme lièvre, mais fina­le­ment je le regarde partir dans le bruit de la foule, bien qu’on soit encore dans le parc.

Les jambes me font mal, j’ar­rive plus trop à boire ni à manger, mais le problème, c’est surtout les jambes, qui semblent deve­nir en bois. Plus ques­tion d’al­lure ou autre, et dès le 38 le seul but est de ne pas marcher. Je ralen­tis sans cesse me battant vrai­ment, mais peu avant le 39, je lâche et marche quelques pas. C’est pire encore, alors je remets vite à courir, et fina­le­ment plus par respect pour ces milliers de spec­ta­teurs qui ne sont pas venus là pour me voir marcher que pour moi-même.

Je marche quand même toute la longueur du ravito du 40ème, pour bien boire, mais j’ai de la peine, vrai­ment.

J’ai fait le deuil de mon 3h30 depuis un moment, mais l’am­biance est fantas­tique, et c’est vrai­ment ce qui me fait encore avan­cer. Et me fixer un nouvel objec­tif malgré un allure catas­tro­phique : rester en-dessous des 3h40

Je me bats comme un fou pour atteindre les 10km/h dans les derniers km. Le 41ème sera malgré tout le plus lent (la marche du ravito sans doute). On est loin d’un nega­tive split.

1000m. Je compte en tours de stade depuis le 38ème, et là il m’en reste 2 et demi. Et je main­tiens avec une terrible peine un 10km/h…

A 500m Silvia est là, et moi je ne sais pas trop où je suis, sur cette route, avec juste l’en­vie que ça s’ar­rête. La bande­role est là au loin, tout près, très loin. Le sub 3 :40 va se jouer à rien, ne surtout pas ralen­tir…

Et ça y est, j’ar­rive. Ca veut dire que c’est fini. Je lève les bras. Pour la photo je crois, mais je n’y suis pas. C’est juste fini et c’est tout ce qui compte pour l’ins­tant.

Mes jambes sont des troncs doulou­reux, mais elles ont tenu, les genoux ont tenu, tout à tenu, sauf moi on dirait… Je suis heureux et triste.

Triste de ne pas avoir atteint cet objec­tif qui me faisait vrai­ment rêver.

Et heureux, d’en avoir fini, d’avoir un nouveau record en 3h39’27, de ne pas avoir pris le mur, et que les genoux aient tenus…

La marche est longue jusqu’au ravito et aux médailles, et c’est quand on me la donne que je me rends compte que c’est fini et que c’est bien. Très bien. Je l’aime cette médaille. Je suis fier. Triste, mais fier d’avoir essayé, et fier d’avoir battu mon record… et surtout je suis fracassém’as­seoir est une mauvaise idée je le sais, ma descente jusqu’au sol dépasse le ridi­cule, et pour me rele­ver, il me faudra l’aide de Jérôme et d’un autre coureur… rien ne passe, ni la bois­son, ni la banane. Le corps ne peut plus, ne veut plus. Il est fâché je crois. Mais moi pas. Je lui suis recon­nais­sant,  très recon­nais­sant pour toutes ces émotions et ces aven­tures

Km après km, et surtout un km après l’autre, se décou­vrir, aller voir, car comme le dit Gebres­se­las­sie :”Le mara­thon est impré­vi­sible et cruel, donc tu dois rester modeste. Tout ce qui doit se passer pendant la course se passera. C’est à toi d’y faire face. Sois fort menta­le­ment, et essaye de garder le sourire.” Et je l’ai… le sourire.

 

L’APRES

Retour à l’hô­tel en boitillant un peu, mais rien que de très normal. Douche, et un peu de repos, et je parviens enfin à boire un peu, et à grigno­ter. Cela me requinque vite, et je commence à avoir faim… C’est plutôt bon signe. Donc après 1h30 de repos, nous partons sur une terrasse enso­leillée de Oude­ha­ven, le vieux port, pour quelques bières bien méri­tées, avant un hambur­ger tout autant méri­té…

Les jambes grincent encore pendant le court trajet jusqu’à l’hô­tel, et je dors comme une masse.

L’APRES-APRES

Le senti­ment mitigé entre grande satis­fac­tion et frus­tra­tion ne se dissipe pas vrai­ment. J’ai le senti­ment que les condi­tions étaient parfai­te­ment remplies pour atteindre l’objec­tif rêvé : douze semaines d’en­traî­ne­ment qui se passent très bien, à l’aise sur toute les distances et toutes les séances, la santé au top, une petite perte de poids, juste ce qu’il faut, des condi­tions idéales le jour de la course, la meilleure suppor­trice du monde pendant toute la prépa et à 5 endroits diffé­rents sur le parcours de la cour­se…

Je me dis que si avec tout ça réuni je n’y arrive pas, et que mes jambes me lâchent quand même au 36ème… je ne vois pas que faire de plus…

Mais qu’à cela ne tienne, il y a un RP au bout, et toujours l’en­vie de repar­tir pour cette folle aven­ture qu’est cette distance mythique…

Dans la liste des rêves il y a encore Londres pour l’am­biance, NYC pour l’avoir coché dans la liste, et un autre à trou­ver pour enfin péter ce putain de 3h30, non ?

Mais pour le moment, c’est vacances, enfin presque, parce qu’en partant une petite semaine à Miami, je sais qu’il va être diffi­cile et même impos­sible de résis­ter à l’en­vie de courir là-bas, sous le soleil, sur la plage, en short, histoire de digé­rer tout ça, tout en conti­nuant à se faire plai­sir… Et d’af­fi­ner encore et de prendre du plai­sir sur le parcours urbi­run Miami !

Et sinon… ben il y a bien sûr un parcours urbi­run à Rotter­dam, et bonne nouvelle, il fait pas 42km… clique ici
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