Running (français) / 23/11/2018
Running / 23/11/2018
Genou en croûte
Dans la vie de la plupart des coureurs, il y a l’étape blessure…
Avec parfois opération, puis physio, patience, impatience, nervosité, engueulades avec l’amoureuse, physio, impatience, risque de divorce, etc…
Il y a quelques jours, j’ai passé la première étape : l’opération.
J’ai donc pris le train la veille, pour aller à la capitale de la Suisse, Berne (et non Zürich, Genève, Lausanne, ou Monthey, pour ceux qui savaient pas trop), rencontrer un top-chef chirurgien genouphile, en gros le gros spécialiste du genou de sportif dans le pays : footeux pros, skieurs, champion/nes olympiques, et plein de mes potes, sont déjà passé par ses couteaux et autres ustensiles.
Je lui ai montré les ingrédients que j’ai apporté, il a gribouillé 2–3 trucs, puis il m’a présenté son plan et m’a dit :
“Je crois que je vais partir sur une ménisectomie partielle, par arthroscopie, avec en entrée une anesthésie locale, spinale, genre péridurale, mais ne vous inquiétez pas, pas d’accouchement en dessert, tout ça sur un lit drapé de mousseline blanc crème. Et un peu de glace pour terminer.”
Voilà pour le menu.
Donc rendez-vous le lendemain, en cuisine, pour la dégustation.
J’y arrive comme demandé à 6h45 en proche banlieue de Berne, mes béquilles de l’an dernier sous le bras…
Je suis accueilli par quelques membres de sa brigade, et on m’installe dans un petit garde-manger privé.
Un commis vient m’apporter les mises en bouches : un bonbon contre les douleurs, un autre contre les éventuelles nausées, et un dernier dragée, qui fait rigoler… Le dernier me rassure, car lorsque le chef prévoit des nausées, tu te poses quand même des questions…
Un autre commis m’apporte ma tenue de gala (oui, dans ce genre d’établissement, il y a un dress-code) : petit slip en papier-résille, robe à fleurs ouverte dans le dos, et socquettes blanches.
“Alles muss weg, ganz umkleiden” (euh oui, j’ai pas précisé mais dans les restaurants de la capitale suisse on parle allemand, enfin, une sorte d’allemand).
Donc je me umkleide total tiptop, et me voilà en tenue : la grande classe, l’élégance à la suisse-allemande avec une petite touche sexy…
Un commis revient un peu plus tard, et me fait une grosse croix noire sur le haut du genou gauche. Apparemment il sélectionne les meilleurs morceaux.
Je m’installe sur le lit de mousseline et il commence à me rouler. En chemin, je croise d’autres convives, sans savoir quel menu ils ont pris, et plusieurs membres de la brigade.
Arrivé dans la cuisine, on me présente le chef saucier, chargé de préparer l’entrée, sa fameuse péridurale spinale. Il me demande de lui montrer mon dos, ce que je trouve un peu cavalier vu ma tenue, mais bon, je le laisse faire. Je ressens quelques petites pressions dans le dos, puis des fourmillements dans les jambes. Pendant ce temps là, deux commis de cuisine saucent ma jambe avec une sorte d’huile brunâtre, sans doute du balsamique.
Et le chef arrive, se présente, tenue verte, calot, masque (la fameuse discrétion helvétique), et répète le menu.
Puis, pour garder tout le secret de son savoir-faire, il dresse un rideau devant mon visage… Le saucier reste près de moi et me met un masque, pour que je ne sente pas les odeurs sans doute, qui seraient trop tentantes.
A droite de mon lit, un écran me permet de regarder l’émission en direct, et de voir le chef officier… J’hésite, je ne veux pas me gâcher la surprise, et mais finalement j’ose…
Je vois une grosse patate ou plutôt deux, qui semblent écraser un vieux morceau de filet de cabillaud, tout effiloché et coincé… Avec quelques accessoires bizarres, le chef retire les morceaux effilochés. Etrangement je ne ressens rien, juste quelques mouvements, qui me rappellent que c’est pour moi qu’il cuisine. La caméra change d’angle, trouve d’autres morceaux de cabillaud à retirer, puis les instruments s’éloignent des patates, et le saucier me dit : “Voilà, c’est prêt”.
Le chef passe brièvement, comme le veut la coutume, et me demande si ça a été.
“Oui, très bien, merci… mais je me réjouis quand même de goûter le résultat…”
“Patience Monsieur, patience, pour l’instant on va vous installer en salle de digestion”.
On me roule dans une autre pièce, où il y a déjà d’autres convives, dont une dame qui ronfle bruyamment.
Là je sens comme un gros beignet très chaud sous ma main… il me faut un moment pour réaliser que c’est ma cuisse. C’est très étrange… Puis sous ma main encore, une espèce de petite saucisse molle que je me demande ce qu’elle fout en dehors du plat… Rien de tout ça ne semble à moi… Je digère pendant une heure environ, le temps qu’on me rende mes cuisses et ma saucisse (dont je reconnais finalement être le propriétaire).
Un ènième commis me roule dans ma chambre, où faute de dessert, je bois du thé, en attendant que le chef vienne faire le fanfaron et me dire qu’il a trouvé ça parfait, et que je peux rentrer chez moi…
Restera plus qu’à me découdre… à m’écouter… et à trottiner à nouveau… bientôt… j’espère…
Et pendant ce temps-là, t’en fais pas, on continue de te préparer plein de parcours sympas, et tu as déjà pas mal le choix si tu cliques ici.