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Inscrivez-vous à newsletter urbirunAvec ses plus de 16’000 runs le long de la même plage, Raven est un coureur légendaire. Ou fou. Ou les deux.
Depuis le 1er janvier 1975, il a fait plus de la moitié du trajet jusqu’à la lune, en courant tous les jours…
Je l’ai rencontré sur le sable et à l’ombre des palmiers, au Fitness Park de la 9ème rue, à South Beach, Miami.
Juste avant qu’il ne commence son 16’008ème run.
Il arrive sur son vélo, et timidement se présente.
Raven. Traduction : le Corbeau.
Cheveux mi-longs et barbe poivre et sel, il retire son t-shirt révélant un torse large. Mais il ressemble plus à un vieux moineau qu’à un corbeau : replié sur lui-même, fatigué, vieux.
Il a 68 ans. Il met ses gants rouges pour faire quelques tractions sur la barre, en jeans brun sale, et torse nu. Comme tous les jours. Depuis près de 50 ans. Avant d’aller courir.
Après une première série, il me rejoint, et évidemment la première question qui vient, c’est pourquoi?
“Parce que je savais que ça allait me faire du bien, physiquement, et mentalement… J’avais déjà couru de temps en temps, quand je suis revenu à South Beach au début des années 70. Avant j’étais parti à Las Vegas et Nashville, comme compositeur de chansons, mais ça s’est mal passé, un producteur m’a volé mes chansons… je n’avais plus rien… Et je suis rentré chez moi. Déprimé. Deux boxeurs m’ont proposé un jour d’aller courir avec eux… Après 2 miles, je me sentais mieux, moins déprimé… et un jour, j’ai pris la décision de courir tous les jours de l’année 1975”.
Lorsqu’il court pour la première fois sur cette plage, chez lui, Miami Beach est très différent d’aujourd’hui. Les plus grandes constructions sont les hôtels art-déco, de 3–4 étages qui bordent la plage, menacés par les promoteurs, et qui seront finalement sauvés de justesse. Le reste n’est que petites maisons habitées par des retraités modestes, des immigrés cubains, et des dealers. South Beach, n’était de loin pas un quartier sûr à cette époque.
“Personne ne courait en ce temps-là. et je me suis vite faite remarquer, surtout que j’étais le plus jeune du quartier, à part les dealers. Donc j’étais le jeune sympa. J’ai eu parfois des problèmes avec les dealers parce que je travaillais dans la sécurité la nuit, mais je n’ai jamais couru pour m’enfuir, ni pour les attraper. Je ne suis pas policier. J’ai toujours couru pour le plaisir, en fin de journée. Je travaillais la nuit et me levait tard, puis j’écrivais mes chansons, alors je n’avais pas d’autre moments pour aller courir. Mais la fin d’après-midi, c’est un bon moment pour le faire”.
Et après une année de runs quotidiens, il a continué.
“Ca me faisait du bien, et j’avais couru toute l’année, j’ai continué, tout simplement. Je me suis pas posé de question. Ca n’a jamais été un projet, à part ce challenge de l’année 1975. Le reste est venu comme ça. Je cours 8 miles (12.8km), sur le sable dur, entre la dune et la plage. Maintenant j’ai 4 parcours différents”.
En fait de différents parcours, c’est le sens dans lequel il part, vers le sud ou le nord, et le nombre de rues, et donc d’aller-retours qu’il fait depuis son point de départ, la cabane des sauveteurs de la 5ème rue, sur la plage, qui détermine ce qu’il appelle son parcours.
“Oui, j’ai couru là tous les jours depuis. Tous les jours, même pendant les ouragans. Sauf une fois. C’était pendant l’ouragan Irma, en septembre 2017. Je m’envolais presque dans les tourbillons, et j’ai dû me plaquer au sol 3 fois. Alors ce jour-là, je me suis pas resté sur la plage, je suis retourné chez moi, et j’ai couru autour de ma maison, pour atteindre mes 8 miles quotidiens. Avec l’aller-retour jusqu’à la plage, j’ai encore couru 221 tours du bloc. 8 miles. Mais peu importe les ouragans : il y en a 7 qui ont essayé de m’arrêter. Moi, je cours.”
Sa moyenne est d’un peu plus de 8 miles, parce qu’il lui arrive de dépasser la distance, mais c’est rare.
“Une fois j’ai couru plus longtemps, avec une fille. qui voulait continuer. Et un jour j’ai participé à une course. De 8 miles aussi, mais le soir je suis allé faire mon run quotidien, et du coup, j’ai couru plus ce jour là. C’est la seule course, à laquelle j’ai participé, en 1978, et c’était gratuit en ce temps-là. Jamais je n’ai payé pour courir, et pour moi, il ne faut pas le faire. C’est devenu un gros business, je n’aime pas ça.”
Et cette course, c’était à Miami. Depuis 1975, Raven n’a plus quitté la région de Miami, et même de South Beach. Il ne se rend en ville qu’à contrecoeur, et occasionnellement.
“Sauf pour les matchs de baseball. J’aime bien aller voir jouer les Miami Marlins, et en plus le stade est pile à 8 miles d’ici, par hasard. Mais souvent je ne vois pas le match en entier, soit je manque la fin, ou le début, puisque je commence mes runs tous les jours à 17h30. Les gens m’attendent. La course m’attend.”
Oui, car si cela te tente, tu peux aller courir avec lui. Il te suffit de le rejoindre, à hauteur de la cabane de sauveteurs de la 5ème rue à 17h30 au plus tard. N’importe quel jour. Tous les jours.
“Pendant très longtemps je courais seul. Dans les années 80, Miami Beach, c’était dangereux. Pas grand monde ne venait. Puis de temps en temps, des gens du coin m’ont rejoint. Et parfois aussi des voyageurs ont commencé à se joindre à moi… Peu à peu c’est devenu régulier, et en fait, depuis ces 19 dernières années, je n’ai couru seul que 3 fois… “
Raven note tout, sur son calendrier, et donne un surnom à chacun, surnom qu’il invente selon la discussion qu’ils ont eu, ou alors comme ça, au feeling, si c’est un run plutôt silencieux.
Au fil des années, il a rencontré ainsi 3012 personnes différentes (au 29.10.2018). Certains viennent régulièrement, d’autres à chacun de leur passage à Miami, ou en famille, de génération en génération, comme cette famille anglaise, dont Raven a connu les parents aujourd’hui décédés, et maintenant ce sont les enfants qui courent avec lui à chacun de leur passage en Floride.
“J’ai couru avec des gens de tous les états américains, des gens provenant de 91 pays différents, et avec toutes les dates de naissance de l’année… J’ai aussi couru avec des stars, comme Mohammed Ali, ou Lebron James, par exemple… Il y en a aussi un runner qui est venu plus de 2000 fois avec moi au total… et actuellement je cours avec quelqu’un qui m’a rejoint plus de 200 fois d’affilée”.
Les gens. Voilà ce qui motive Raven à venir tous les soirs au rendez-vous qu’il a avec la course à pied. Il sait que quelqu’un l’attend. Entre 5 et 10 personnes en moyenne.
“Parfois c’est plus dur que d’autres. Mais non, je ne me sens pas prisonnier de tout ça. Je sais que certains le pensent, mais non, ce n’est pas l’impression que j’ai. Je me sens libre. Mon mentra, c’est Run Free. Peu de gens peuvent dire qu’ils sont en paix où ils sont et avec ce qu’ils font. Moi je le suis. Courir c’est un peu devenu une mission. On dit que j’inspire les gens. Mais cela n’a jamais été un but en soi, de courir autant, d’inspirer… Je me sens béni, tout simplement, et j’ai l’impression que si j’arrêtais, je n’irai pas bien.”
Et on peut le croire. Au fil de la discussion, interrompue par ses séries d’exercices et de tractions, Raven s’est ouvert, physiquement. Il n’est plus recroquevillé sur lui même, fatigué, vieux. Il s’est redressé, semble vigoureux, et son visage s’est éclairé. La magie du sport, encore une fois.
“Ce qui est le plus dur? Mon mal de dos… Ca fait 24 ans que j’ai mal au dos. Trois médecins m’ont conseillé d’arrêter le sport depuis… Mais courir, c’est ma vie, ça l’est devenu peu à peu, mais maintenant, ma vie tourne autour de cela.”
Et Raven ajoute dans un sourire que ces médecins sont probablement tous morts aujourd’hui, et qu’il ne court pas bien vite. Parce que le lendemain, il recommencera. Et le surlendemain aussi.
“Mon meilleur souvenir, c’est le 29 mars 2009. Le jour où j’ai atteint la barre symbolique des 100’000 miles (160’000km). Beaucoup de gens sont venus courir avec moi, il y avait beaucoup de journalistes et de curieux. Ce fut un moment très intense, et très émouvant”.
Depuis, Raven a ajouté 28’340 miles à son compteur (45’609 km) pour un total de 206’543km, au 29.10.2018, soit 5.2 fois le tour de la Terre… ou plus de la moitié du trajet jusqu’à la lune…
Mais il n’a toujours pas quitté Miami Beach. Et ça, c’est presque le plus impressionnant. Avoir parcouru une telle distance, sur place. Vraiment. Ne rêve-t-il pas parfois de partir, de courir ailleurs, de découvrir?
“Non, je ne me sens pas bien, pas à l’aise quand je quitte South Beach. Mais si je devais choisir, peut-être que j’aimerais bien courir à Key West (extrémité sud de la Floride), ou retourner à Nashville… J’aime beaucoup aussi le vert de l’Irlande, alors pourquoi pas là-bas. Mais en fait non, je crois que je n’aimerais pas, il ferait sûrement trop froid de courir là-bas”.
On se dit au revoir, il met ses gants rouges, et repart pour une série de tractions, en saluant ses amis. Puis ce sera 62 pompes. Comme chaque jour.
Et peu après, comme chaque jour, il mettra son short noir, son bandeau, et il commencera son 16’008ème run, sans moi, mais probablement pas seul.
On lui souhaite d’atteindre la prochaine barre symbolique, 150’000 miles… ce sera dans 2’707 couchers de soleil sur la plage de Miami, soit le 29 mars 2026, et Raven le Corbeau les verra tous. Il aura alors 76 ans…
Et on va faire comme lui, qui n’oublie jamais que “les tempêtes ça ne dure pas”, et la prochaine fois, mes genoux me permettront de l’accompagner sur sa plage, et de gagner un surnom…
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Et si tu ne veux pas courir tous les jours au même endroit, même à Miami, tu peux essayer notre parcours running, et découvrir South Beach et son histoire… et courir avec Raven le lendemain… Il sera là.
urbirun Miami Beach 11.8km – tour . gpx
©images Silvia Giacchetta @silvia7one instagram